4 oct. 2014

War Horse, ou la guerre vue par un cheval

Écrit pour L'auditoire : http://www.auditoire.ch/old/?p=3226 (février 2012)

 Albert Narracott (Jeremy Irvine) sur son cheval, Joey, protagonistes du film.

Suite à un très ambitieux Tintin en « performance capture », Steven Spielberg nous offre un nouveau spectacle, cette fois situé en plein cœur de l’Angleterre et de la Première Guerre mondiale.

          War Horse, l’histoire d’une grande amitié entre un jeune adulte, Albert Narracott (Jeremy Irvine), et un cheval, Joey, qui se voit contraint de quitter son dresseur et de partir à la guerre : de quoi passer pour le film le plus naïf et pathétique qui soit, d’autant plus que le livre dont il est tiré, n’est autre qu’un livre pour enfants, conseillé dès l’âge de neuf ans. C’est bien l’idée qu’on est susceptible de se faire pendant les premières minutes du long-métrage, où l’on voit un beau jeune homme au visage « babyface », émerveillé par un poulain, le tout accompagné d’une musique bien cucul-la-praline, devant le magnifique paysage d’une campagne anglaise interminable… Pourtant, cette impression est de courte durée. Dès les premières complications, c’est avec une incroyable force que le film vous submerge, quel que soit votre niveau de cynisme ou « d’esprit critique ».

          C’est au cœur de la Première Guerre mondiale que se déroule l’histoire de ces deux personnages. Une époque pendant laquelle les jeunes garçons en fin d'adolescence éprouvaient une réelle excitation à l’idée de pouvoir servir de chair à pâté à leur patrie. Et l’idée qu'on pourrait se faire de cette époque, son ambiance, ressort parfaitement à travers les innombrables décors et les déguisements mis en place pour le film. Des images qui, par ailleurs, ne cessent d’évoquer le cinéma d’une époque révolue.

Enfance et innocence


          Joey, le cheval, est le personnage qui n’a rien à voir avec la guerre. Il est le personnage qui ne peut pas avoir conscience des conflits entre les belligérants. Cela le mène à passer tout au long du film du camp des Anglais, à celui des Allemands ou encore des Français ; en réalité, il occupe une place tout aussi grande qu'Albert Narracott, s'agissant finalement d’un acteur comme les autres: « Pendant le film, il y avait des moments où je n'avais même pas besoin de dire aux chevaux ce qu’ils devaient faire. On était dans une scène et ils agissaient d'une façons que je n’étais même capable d'imaginer. »*, racontera plus tard Steven Spielberg.


 Joey, Emilie (Celine Buckens) et son grand-père (Niels Arestrup).
           Steven Spielberg a l’habitude de faire ressentir cette enfance cachée vivant encore en nous et, malheureusement, si souvent reniée. Quel que soit le sujet de ses films, du plus fantastique au plus sérieux, une place à l’enfance y est toujours consacrée. Si ce n’est pas en l’exposant directement à l’écran, c’est à travers les émotions que nous procurent ces histoires : les rêves d'enfance de s’envoler pour le pays imaginaire, de se lier d'amitié avec un extraterrestre, ou encore de porter un chapeau en cuir et de partir à l’aventure sur le dos d’un cheval… Bien que se situant en plein cœur de la guerre, l’intrigue de War Horse tourne davantage autour d’Albert et Joey que d'autre chose. S’agit-il alors d’un film familial ? Pas si sûr. La violence n’est peut-être pas aussi crue que dans les long-métrages plus sérieux du registre de Spielberg – Il Faut Sauver le Soldat Ryan ou La Liste de Schindler, pour citer les plus connus – mais certaines scènes, témoignant des horreurs dont sont capables les hommes, ne manquent pas de nous tirer les larmes des yeux. Le message est clair : il s’agit toujours, pour le cinéaste, de montrer l’absurdité et la frayeur de ce qu’il ne faut, en aucun cas, répéter dans l’Histoire.

Des Allemands anglophones
 

          Seul hic que l’on pourrait lui reprocher : une langue anglaise universelle, parlée couramment par les soldats allemands et par les Français. Cela met sérieusement en jeu l’authenticité du film et rappelle aux spectateurs/trices qu’en fait, ils se trouvent dans une salle de cinéma... War Horse s'adresse donc bel et bien aux petit-e-s comme aux grand-e-s et est destiné à une distribution pour le moins... massive. (Intérêt monétaire ou préventif ? C'est une autre histoire...) Le résultat est tout de même impressionnant, comme d'habitude, et la qualité des acteurs-trices (animaux ou non) n’est pas à remettre en doute ; aucune grande star à l’écran, mais une sélection d’artistes que l’on repère dans tel ou tel bon film. Les plus émotifs/tives d’entre nous auront alors la simple impression d’avoir vécu une épopée, d’avoir autant mûri et changé que les protagonistes. Sans parler de la musique qui risque de squatter la tête des plus mélomanes pendant quelques jours : John Williams, pour changer. (Sortie le 22 février 2012.)

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* « There were times in the movie when I wouldn’t even tell the horses what to do. They’d be in a scene and would be reacting in that scene in ways I couldn’t imagine a horse would be able to react or act. »

La CAP dans la tourmente

Écrit pour Fréquence Banane : http://www.frequencebanane.ch/content_1361573259.html (février 2013)

 La porte de la CAP, fermée. (© Stefano R. Torres)

Jeudi 21 février 2013 se tenait une séance du Groupe Regards Critiques, qui avait pour but de discuter d'une nouvelle surprenante – du moins pour les étudiant-e-s de l'Université de Lausanne : la fermeture de la CAP.

          La CAP, Cafétéria Autogérée Provisoire (ou Permanente, selon la position politique), c'était une terrasse, au-dessus de la réputée cafétéria de l'Anthropole, où tout-e étudiant-e avait la possibilité, non seulement de réchauffer ses vivres ou de s'installer sur de moelleux canapés mis à disposition, mais surtout de se préparer à manger soi-même, ou encore de se proposer volontaire pour porter la toque du chef. La CAP, c'est terminé, et cela à cause d'un changement de serrure du local, opéré par l'université pendant les vacances d'hiver. C'est en tout cas ce que nous écrivait le Groupe Regards Critiques, en nous proposant de plus amples informations à condition de participer à une réunion-débat. Une trentaine de curieuses et curieux s'y sont rendu-e-s, parmi lesquelles on pouvait compter les membres de l'association, ainsi que les habitué-e-s de la CAP.

           Benoît Frund, vice-recteur du secteur Durabilité et Campus de la direction aurait été au centre des négociations. Au départ, l'espace a été saisi par un inspecteur d'hygiène alimentaire, considérant que l'état de la cuisine ne convenait pas à la préparation de repas. De plus, la vente de ces derniers – qui avait lieu de façon occasionnelle et sans but lucratif – ainsi que l'exposition des prix et l'échange d'argent inévitable qui en découlait, nécessitait une patente, comme l'exige la police du commerce. Le dialogue a été tenté à plusieurs reprises avant la fermeture de l'espace. Toutefois, la Direction exigeait de la CAP qu'un responsable leur fût désigné, afin d'ouvrir le débat, ce qui était totalement contraire au fonctionnement même de la cafétéria autogérée : celle-ci ne se considère pas comme une association, mais a une approche communautaire de l'espace. Tout-e étudiant-e a la possibilité de participer aux réunions, étant donné qu'il n'y a ni membres, ni président-e-s. 

 Pancarte pour la réouverture de la CAP. (Stefano R. Torres)
           Par ailleurs, une question restait en suspens pendant la réunion : comment l'inspecteur d'hygiène alimentaire était-il tombé sur le campus et, surtout, à la CAP? Pourquoi ce si soudain acharnement à vouloir reprendre l'espace en main? Les idées fusent dans tous les sens : d'après un responsable de la librairie autogérée Basta, ancien étudiant de l'université, la CAP aurait été, depuis ses débuts, confrontée à ce genre de problèmes. Surtout depuis son occupation lors d'une grève qui fit passer l'espace aux mains des étudiants, prétend une autre personne. Cela dit, les ennuis ne seraient jamais allés aussi loin. Les idées les plus graves expriment alors la crainte que, depuis la construction du Géopolis, ainsi que les nombreux travaux qu'elle implique, l'université veuille reprendre en main des « zones de gris » dont elle ne s'était provisoirement pas occupée. Le déplacement de Zelig vers le nouveau bâtiment et le déménagement de la Faculté des sciences sociales et politiques, principale défenderesse – avec la Faculté des lettres – de ce type d'association, réduira peut-être à néant un soutien essentiel.

           Le débat reste toutefois sage lors de la réunion. De peur d'envenimer la situation, les personnes concernées souhaitent privilégier le dialogue avant toute action irréfléchie, même s'ils ne comptent de loin pas baisser les bras. En effet, le contact avec Benoît Frund a été rétabli le jour même de la réunion. La CAP est alors en discussion sur les concessions qu'elle serait prête à faire pour sa réouverture, mais surtout sur la limite des concessions qu'elle peut faire. Elle doit définir ses principales priorités en tant que cafétéria autogérée. La préparation libre de repas par les étudiant-e-s – possibilité qui n'est offerte nulle part ailleurs sur le campus – semble en faire grandement partie.